Depuis la révolution industrielle, les entreprises ont orienté leur développement sur un modèle de management basé sur la diminution du gaspillage des ressources dans le but d’être plus efficace. Ces entreprises se sont appuyées sur les concepts de division intelligente du travail d’Adam Smith et l’avantage comparatif de David Ricardo dans leurs quêtes de croissance. Ainsi, le facteur « efficacité » a été considéré comme le Saint-Graal du management pour atteindre les objectifs des entreprises.
Il est toutefois important de se demander si ce modèle de développement est toujours adapté à un tissu économique assujetti à une constante variation du marché. Doit-il évoluer et prendre en compte d’autres facteurs comme la résilience et l’adaptabilité de l’entreprise, les inégalités sociales, etc. ?
Réduire le gaspillage en optimisant l’utilisation des ressources est sans aucun doute une noble cause pour l’entreprise. Cependant, le problème se pose quand cela devient l’objectif ultime et est réalisé au détriment d’autres facteurs tout aussi importants. Cette « mentalité » peut évidemment avoir des conséquences néfastes pour notre tissu économique. En effet, ce dernier peut être rendu extrêmement homogène et donc très instable.
Avec cette philosophie, le nombre d’entreprises ou individus bénéficiant des retombées économiques liées à l’efficacité sont malheureusement de plus en plus restreintes. Cette situation n’est donc pas pérenne et doit être remédiée. Il est, de fait, important de réfléchir à une solution qui atténuera peut-être les gains (dus à l’efficacité) à court terme mais qui générera une situation économique plus juste et plus stable sur le long terme.
Le lien entre efficacité et redistribution
Les entreprises doivent donc changer leur approche et se concentrer davantage sur la résilience qu’uniquement sur « l’efficacité ». Afin de comprendre la dangerosité d’avoir comme objectif ultime uniquement l’efficacité d’une entreprise, nous devons nous intéresser à la répartition des bénéfices provenant de nos activités économiques. Idéalement, nous pouvons supposer que cette répartition suivrait une distribution gaussienne, c’est-à-dire :
- Que la grande majorité des entreprises auraient des profits globalement similaires ;
- Qu’un petit nombre d’entreprises se démarqueraient du lot ;
- Qu’une petite partie des entreprises réaliseraient des bénéfices en dessous de la moyenne.
Toutefois, après analyse des faits, force est de constater qu’une loi de Pareto régit cette distribution. Dans cette dernière, la grande majorité des valeurs sont très faibles. En revanche, la fin de la courbe n’est plus bornée et « explose » vers l’infini.
En d’autres termes, une poignée d’individus contrôlent la quasi-totalité des opportunités du marché tandis que les autres se contentent des miettes restantes.
Ceci démontre donc que les entreprises utilisent un modèle de développement (reposant sur une quête acharnée de l’efficacité) loin d’être responsable et redistributif comme on peut l’imaginer.
A titre d’exemple, prenons le cas de la culture d’amandes. Ces dernières étaient dans le passé cultivées dans plusieurs états aux Etats-Unis. Les retombées économiques étaient ainsi distribuées à l’échelle nationale. Afin d’être plus efficace et de réaliser des économies d’échelle, la majorité des plantations ont par la suite été délocalisée. Elles ont été regroupées dans la grande vallée de Californie ; une région propice pour la culture d’amandes. Aujourd’hui, 80% des amandes du monde sont produites dans cette région. Ceci a donné lieu à une situation de monoculture. Une usine assure la production de toutes les amandes et donc, une seule entreprise domine le marché.
Risques directs et indirects
Cette monoculture a supprimé les couches de sécurité dans ce secteur d’activité et a ainsi rendu ce dernier très à risque. Une perturbation météorologique extrême, un parasite ou un virus pourrait exterminer la quasi-totalité de la production mondiale.
De plus, cette situation a aussi généré d’autres risques indirects. Les amandiers bénéficiant tous du même climat doivent être pollinisés au cours de la même période. Des ruches doivent ainsi être acheminées d’autres états du pays afin de répondre à cette forte demande. Cette étape d’acheminement des ruches n’est hélas pas la fin de nos problèmes.
Outre le fait que cet acheminement nécessite un coût supplémentaire et une logistique adaptée, le risque que les colonies d’abeilles transportées ne soient pas aptes à polliniser tous les amandiers demeure.
En effet, les abeilles concernées sont souvent victimes d’épidémies et l’acheminement des ruches peut accentuer ce phénomène.
Une théorie sur l’origine de ces épidémies lors du camionnage des ruches sur des longues distances (une opération jamais effectuée auparavant), résulterait en un affaiblissement de la résistance des abeilles. Malheureusement pour nous, cette conséquence n’aura de cesse de s’accentuer dans le temps. Transporter des abeilles dans le but de respecter les critères d’efficacité apporterait un gain uniquement à court terme. Ce modèle n’est certes pas responsable et encore moins résilient.
Même constat au niveau national
Nous constatons aussi cet effet à une échelle nationale.
Prenons comme cas d’étude, la première puissance économique au monde : les Etats-Unis. Chez nos amis outre atlantique, les données du US Census Bureau nous montre que depuis 1997, la plupart des secteurs économiques américaines se sont « hautement concentrés ». Cette concentration représente la part de marché contrôlée par les quatre premières entreprises du secteur étudié. Ainsi, sur une période de 15 ans (1997-2012), parmi les 850 secteurs économiques américains, deux tiers d’entre eux ont connu une hausse en concentration. Un quart des secteurs étudiés ont subi une concentration supérieure à 10% alors que ce constat est encore plus prononcé pour 92 secteurs qui affichent une concentration d’au moins 20%.
Les conséquences de cette situation d’oligopole sont :
- Une concurrence quasi inexistante ;
- Une hausse des prix pour les produits disponibles sur le marché ;
- Des profits en hausse.
Mais alors ? La situation est-elle irréversible ou il y a-t-il encore une lueur d’espoir pour échapper à cette spirale économique ?
Heureusement, pour les futures générations de startuppers, il existe bel et bien une solution !! Solution qui n’a pas été cantonnée à la stature d’une théorie dans un bouquin ou au cerveau des grands penseurs.
Cette solution a avantageusement pu franchir ces étapes et a déjà été implémentée dans une entreprise. Pour ceux qui trépident d’impatience de connaitre ce cobaye « fou », cette entreprise est nulle autre que la multinationale Ford.
En effet, le P-DG de Ford, Jim Hackett est déterminé à faire évoluer l’entreprise en réorientant la stratégie de développement sur l’adaptabilité plutôt que l’efficacité. Il s’inspire des travaux de l’institut de Santa Fe dont les conclusions démontrent que la théorie de l’évolution ne se limite pas uniquement au domaine de la biologie mais peut aussi être appliquée aux entreprises.
Adaptabilité et suppression de la complexité
Comme analogie, prenons le cas d’une personne qui souhaite escalader une montagne dans un temps donné. A sa première tentative, elle réussit de justesse à respecter le temps fixé. Souhaitant s’améliorer, elle tente à nouveau l’escalade après quelques mois. Cependant, elle découvre que la morphologie de la montagne a changé. S’étant entraînée dans l’ancienne configuration, elle doit dorénavant se surpasser pour au moins réussir à reproduire son ancien temps.
Si on transpose cette analogie au monde de l’entreprise, il est certes important de s’intéresser à ses bénéfices ou à la rentabilité de ses actions (respect du temps) mais il est d’autant plus important de pouvoir s’adapter aux mutations du marché afin d’être plus résilient (faire face au changement de morphologie de la montagne).
Il est donc essentiel de repenser notre écosystème de travail. Durant la crise de 2008, la multinationale Ford Motor Group a fait le choix de réduire ses bénéfices afin de pouvoir continuer à opérer. Malgré cela, les dirigeants se sont vite rendu compte que ce choix avait des conséquences très limitées. Les coûts de production remontaient et les améliorations étaient presque invisibles. Ceci peut être expliqué par le fait que Ford évoluait dans un écosystème trop complexe et que la situation nécessitait une simplification de leurs processus. Pour cela, Ford a ainsi fait le choix de, non seulement diminuer le nombre de plateforme de construction, mais également d’élargir ce choix aux options et configurations proposées aux clients. Le but étant d’éliminer la complexité et être plus résilient face aux aléas du marché.
En bref..
Il est tout à fait compréhensible qu’un P-DG souhaite rendre son organisation plus efficace. Pour ce faire, l’efficacité ne doit pas être le seul facteur à prendre en compte pour le management de l’entreprise. Une recherche en résilience doit venir complémenter cette recherche en efficacité. Ceci permettra ainsi un développement plus responsable de l’entreprise. Cet équilibre : efficacité-résilience est non seulement important pour la sécurité de l’organisation mais aussi pour aider à l’implémentation d’un nouveau modèle économique plus équitable.
Cette course effrénée vers l’efficacité a donné lieu à un tissu économique instable, très concentré et inégalitaire. Les retombées économiques suivent une distribution de Pareto où quelques individus contrôlent la quasi-totalité des opportunités du marché. Les autres doivent malheureusement se contenter des miettes restantes.
Evidemment, un nouveau modèle économique représente ainsi un nouveau modèle de développement pour les entreprises. A l’instar de la multinationale Ford Motor Group, les entreprises doivent réfléchir à une simplification de leurs processus afin d’être plus efficaces, certes, mais surtout et avant tout plus résilients.